L’ISIT-CH a organisé une formation pour ses membres sur la thématique des achats Numérique Responsable (NR). Elle a eu lieu le 14 novembre 2023 et a permis à une dizaine de participants et participantes de rafraîchir leur savoir concernant l’impact environnemental et humain du numérique tout en acquérant de nouvelles connaissances sur la thématique des achats. Cadre réglementaire en vigueur, concepts clés et indicateurs, méthodologie et présentation des bonnes pratiques étaient au menu de cette demi-journée riche en informations.
Dans cet article, nous expliquons le contexte général dans lequel s’inscrit la thématique des achats, nous rappelons le cadre réglementaire et présentons quelques pistes à suivre pour réduire l’impact environnemental du numérique dans votre organisation. Un article abordant en profondeur la mise en place d’une politique d’achats NR sera publié prochainement.
Dans quel contexte s’inscrivent les achats NR ?
La thématique d’achats NR s’inscrit dans une logique de développement durable défini dans le rapport Brundtland, publié en 1987, comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins. ». Cette démarche prend en compte trois dimensions : responsabilité écologique, solidarité sociale et efficacité économique, de manière équivalente, équilibrée et intégrée, tout en tenant compte des limites des capacités des écosystèmes mondiaux.
Nos équipements numériques ont des impacts négatifs sur les sphères écologique et sociale tout au long de leur cycle de vie, en particulier au moment de leur fabrication. Cette dernière est très gourmande en ressources (métaux notamment), elle est demandeuse en énergie et elle produit diverses pollutions (pollution de l’air par les GES, pollution de l’eau et du sol par les résidus de métaux lourds et autres produits chimiques résiduels du raffinage). Les conditions de travail sont difficiles et dangereuses, particulièrement à l’étape d’extraction et de raffinage des matières premières, et il arrive souvent que le droit du travail ne soit pas respecté (travail d’enfants, exploitation, outils de travail et protection inadéquats). De plus, la création et l’agrandissement de mines peut provoquer des déplacements de population. Des personnes sont par exemple expulsées de leur logement au profit de l’agrandissement de la mine, comme dans le cas de mines de cobalt et de cuivre en République Démocratique du Congo.
Tous ces impacts sont en forte croissance à mesure que notre consommation d’équipements augmente. Les terminaux utilisateurs (smartphones, PCs, laptops, écrans, TVs, projecteurs, objets connectés, etc.) constituent, étant donné leur nombre élevé et leur durée d’utilisation trop courte, la source principale des impacts environnementaux. Cette obésité informatique produit des quantités énormes d’équipements désuets et/ou de déchets qui sont actuellement très mal valorisés et qui ont de lourds impacts sur l’environnement et sur les populations. Dès lors, la fréquence du renouvellement d’équipement et l’acte d’achat revêtent une toute nouvelle importance.
Le cadre normatif
A l’échelle internationale, il existe plusieurs normes dont une organisation doit tenir compte pour justifier de son engagement dans une démarche responsable. On retrouve plusieurs normes publiées par l’International Organization for Standardisation (ISO) :
- Série ISO 14000 : normes qui concernent le management environnemental (ISO 14001 pour améliorer et certifier sa performance environnementale, ISO 14044 avec les lignes directrices pour les Analyses de Cycle de Vie (ACV).
- ISO 26000 : lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale (RSE).
- ISO 20400 : lignes directrices pour intégrer la responsabilité sociétale dans les processus d’achats, comme décrit dans l’ISO 26000.
- ISO 27001 : Norme de système de management de la sécurité des informations (Data security).
- ISO 45001 : Norme de système de management santé & sécurité pour améliorer la sécurité des employés, réduire les risques sur le lieu de travail et créer de meilleures conditions de travail.
Les pistes d’actions
Afin de réduire ces impacts négatifs, une organisation peut agir principalement à quatre niveaux en termes d’achat et d’utilisation : diminution du nombre d’équipements utilisés, mutualisation, allongement de la durée d’utilisation des appareils et en dernier lieu, achat ; en privilégiant le matériel reconditionné et en prenant en compte certains critères.
Diminution et mutualisation
En cartographiant les usages du matériel, une organisation peut découvrir que certains équipements sont sous-utilisés ou dispensables (ex : double écran, imprimante). La diminution du nombre d’équipements par employé et/ou par salle, en fonction des besoins réels, permet de réduire les dépenses globales, qu’elles soient financières, énergétiques ou liées à l’utilisation de matières premières. Les équipements en trop peuvent être revendus en l’état ou valorisés auprès d’associations. Ainsi, l’utilisation du matériel produit devient globalement plus efficiente. Il est également possible de mutualiser certains équipements en permettant à un employé de travailler avec son PC personnel (BYOD). L’entreprise peut alternativement mettre à disposition un PC qui sera utilisé pour un usage professionnel et privé (COPE). Dans les deux cas, cela a pour effet d’éviter l’achat d’un appareil supplémentaire.
Allongement de la durée d’utilisation
Allonger la durée d’utilisation a des bénéfices à plusieurs égards. Tout d’abord, utiliser un équipement plus longtemps permet de lisser ses impacts à la production sur une plus longue période. Cela déplace également l’acte d’achat à un moment futur, ce qui permet, dans l’absolu, d’éviter la production de nouveaux équipements. Ces deux gains ont un effet direct sur la réduction de l’impact environnemental à la production. De plus, prolonger la durée de vie du matériel IT permet également de réaliser des économies et constitue donc un bon moyen d’optimiser les ressources financières d’une organisation. Pour permettre à nos équipements informatiques de durer plus longtemps, il suffit d’en prendre soin : protection de l’appareil, entretien régulier (dépoussiérage interne), bonnes pratiques d’utilisation (éteindre l’appareil, garder le niveau de batterie entre 30% et 80%) et de privilégier la réparation lorsque c’est possible. Faire durer nos équipements numériques constitue le geste le plus efficace pour diminuer leurs impacts.
Achats : penser reconditionné, réparable et robuste
Après avoir agi sur les trois niveaux cités ci-dessus, on peut réfléchir à une stratégie d’achats Numérique Responsable qui sera mise en action lorsqu’il faudra renouveler certains équipements. A ce titre, trois principes sont à garder en tête : privilégier le matériel reconditionné, acheter réparable et acheter robuste. Il également important de définir des critères de durabilité qui seront intégrés dans le processus d’achat. Enfin, les labels constituent un bon indicateur pour avoir un cadre de référence.
Indications importantes | Labels | Critères de durabilité |
Privilégier le matériel reconditionné Product Carbon Footprint (PCF) Indice de réparabilité Indice de protection | TCO EU Ecolabel EPEAT Plus d’info sur les labels | Certification EMAS ou ISO14001 Demander les PCF Demander un label minimum Demander une clause sur la fin de vie du matériel Demander un indice de réparabilité minimum Demander un indice de protection minimum |
Gains d’efficience: attention au piège
Les gains d’efficiences réalisés à la production ou à l’utilisation peuvent paraître une bonne chose car qui dit gain d’efficience, dit à priori moins de ressources utilisées. On pourrait donc vouloir investir notre énergie et nos ressources dans ce domaine en vue de son amélioration.
C’est sans compter sur l’effet rebond (ou paradoxe de Jevons) qui énonce qu’à mesure que les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer. En effet, bien souvent une amélioration de l’efficience rime avec une baisse des prix ou l’apparition de nouveaux usages (ou les deux), ce qui a pour effet final de stimuler la demande et d’augmenter le volume globale de production ou d’utilisation d’un produit ou d’un service. Si cette augmentation est supérieure au gain d’efficience globaux, la conséquence sera un usage d’énergie et de ressources accru, ce qui renforcera les impacts négatifs sur l’environnement. Une augmentation de l’efficience n’est efficace qu’en complément d’une démarche de sobriété visant à questionner les usages et à diminuer les besoins.
Le suréquipement, fléau de notre époque
Il est bon de noter qu’il existe à notre époque une tendance au suréquipement et une fascination pour les nouvelles technologies, renforcées par le marketing de certains acteurs du marché de la Tech. Ainsi, si l’on veut avoir une chance de diminuer l’impact environnemental du numérique, il devient vital de distinguer le besoin réel du simple désir. Il est également impératif de constamment questionner nos usages, en particulier lorsqu’il s’agit de technologies numériques « émergentes » (blockchain, IA, IoT, AR, VR), dont l’impact est encore peu mesuré. Lorsque l’on évalue l’utilité d’une solution numérique, il nous faut garder en tête ses impacts environnementaux et humains.
La boîte à outils pour commencer sa réflexion
Les 5R
- Refuser l’acte d’achat. Ceci implique de questionner ses besoins et être conscient du phénomène d’obsolescence psychologique.
- Réduire sa consommation de matériel, de donnée et d’électricité. Ceci implique de prendre soin de ses équipements et de questionner ses usages.
- Réutiliser. Acheter du matériel reconditionné, donner une seconde vie à son matériel.
- Réparer tout ce qui peut l’être.
- Recycler. En dernier recours.
Les guides
- Les guides de l’ADEME, dont celui sur la sobriété numérique et le Guide pratique pour des achats numériques responsables.
- De nombreux outils, informations et ressources sur notre site